Une nouvelle capacité d’emprunt, des subventions directes pour les Etats, des règles de contrôle assouplies, de nouvelles ressources à trouver… avec la crise du Covid, l’Union européenne en profite pour se moderniser.
Pour pallier les conséquences économiques et sociales de la pandémie de coronavirus, les 27 Etats européens ont trouvé un accord pour lier le prochain budget pluriannuel de l’Union européenne 2021-2027 (1.074,3 milliards de d’euros) et un plan de relance de 750 milliards d’euros. Pour la première fois, la Commission va emprunter au nom de l’Union européenne et répartir les fonds entre des prêts et des subventions accordés aux différents Etats. Le plan « est important, ciblé et limité dans le temps », précise le Conseil européen.
1 – Des subventions généreuses et inédites
Le principe de subventions a été arraché de haute lutte aux Etats frugaux qui n’en voulaient pas. Sur un total de 750 milliards d’euros , 672,5 milliards d’euros sont répartis en deux grandes catégories : les prêts (360 milliards) et les subventions (312,5 milliards). S’y ajoutent différentes lignes du budget pluriannuel pour un montant de 77,5 milliards d’euros (d’où le total de 390 milliards de subventions).
La clé de répartition de ces dernières n’est pas précisément connue. Mais on sait déjà que l’Italie, l’Espagne et la France, les trois pays les plus touchés par le Covid-19 vont, pour les deux premiers, recevoir 60 milliards d’euros de subventions, et 40 milliards d’euros pour l’Hexagone.
L’essentiel (70 %) des montants en jeu sera attribué en 2021 et 2022, le solde (30 %) pouvant glisser jusqu’en 2023. Une règle reste toutefois applicable à tous : les montants reçus ne devront pas excéder 6,8 % du revenu national brut de chaque Etat-membre.
En outre, les critères retenus pour déterminer le montant de la subvention allouée pour 2021-2022 seront ceux définis par la Commission. Pour l’année suivante, 2023, il ne s’agira plus du taux de chômage observé durant la période 2015-2019, mais bel et bien l’ampleur de la récession causée par le Covid-19 en 2020, laquelle sera recalculée ensuite en agrégeant les années 2020 et 2021.
2 – Un contrôle communautaire assoupli
Afin de pouvoir prétendre à cette aide, les Etats vont préparer des plans de relance qui décrivent les réformes et les investissements souhaités pour la période 2021-2023. La Commission devra statuer dans les deux mois et va se fonder sur des critères qui valorisent la croissance, la création d’emplois et la résilience sociale des Etats. Elle recherchera également des actions en faveur de la transition énergétique et du numérique. Il est convenu que 30 % des dépenses engagées dans le cadre du plan de relance de 750 milliards d’euros devront cibler le changement climatique afin d’atteindre l’objectif d’une neutralité carbone en 2050.
Contrairement aux souhaits des Etats frugaux, qui espéraient imposer un droit de veto, le Conseil approuvera à la majorité qualifiée la proposition de la Commission. Il y aura des objectifs à tenir pour obtenir le déblocage des fonds au fur et à mesure. Si un Etat membre estime qu’il y a des déviances, il pourra saisir le président du Conseil qui portera l’affaire lors du prochain Conseil européen. Cela ne devra pas prendre plus de trois mois et il n’est pas prévu de décision formelle à l’issue.
3 – L’Etat de droit comme condition
Pour la première fois dans l’histoire de l’Union, le versement d’aides pourra être suspendu en cas de violations de l’Etat de droit et la démocratie. Une mesure visant clairement la Hongrie et la Pologne, deux régimes nationalistes visés par une procédure dite de « l’article 7 » pour diverses mesures ayant porté atteinte à l’indépendance de la justice et des médias, selon Bruxelles. La procédure pour « risque clair de violation grave des valeurs de l’Union » a été lancée contre la Pologne en décembre 2017 par la Commission européenne et contre la Hongrie en septembre 2018 à l’initiative du Parlement européen. Après des auditions pouvant s’étaler sur des années, elle peut aboutir à la suspension des droits de vote du pays dans l’Union, mais seulement à l’issue d’un vote à l’unanimité du Conseil européen, hautement improbable donc.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a salué un instrument destiné à « protéger les intérêts financiers de l’Union ». La suspension d’une aide pour atteinte à l’Etat de droit devra toutefois être approuvée par une majorité qualifiée des Etats membres, 55 % des pays de l’Union représentant les deux tiers de la population totale. Ce qui est plus difficile à réaliser que ce que prévoyait initialement la Commission. Elle envisageait que la suspension des aides soit effective sur proposition de seulement un tiers des Etats membres et qu’il appartenait au pays visé de rassembler une majorité qualifiée pour empêcher cette procédure. Devant le risque de veto de la Hongrie, la Commission avait accepté dès avant le sommet d’assouplir sa position, ce dont s’est félicité ce mardi le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, dont le pays va bénéficier aussi financièrement du plan de relance.
4 – Des rabais en hausse
« I want my money back ». Certains pays du Nord de l’Europe et du centre ont remis au goût du jour cette réplique célèbre de Margaret Thatcher, lancée le 30 novembre 1979 lors d’un sommet européen. L’accord sur le plan de relance a pu aboutir grâce à des concessions sur la participation de certains Etats membres au budget européen. Malgré l’insistance de nombreuses capitales, dont Paris, les rabais, accordés aux pays dits « frugaux » qui jugent leur contribution au budget disproportionnée par rapport à ce qu’ils reçoivent, ont été maintenus et même relevés par rapport à ce qui était prévu avant le sommet. « Pour la période 2021-2027, des corrections forfaitaires réduiront la contribution annuelle basée sur le Revenu National Brut (RNB) du Danemark, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche et de la Suède. […] Ces réductions brutes sont financées par tous les Etats membres en fonction de leur RNB », indique le texte de l’accord.
Au palmarès, c’est l’Autriche qui obtient le plus. Son rabais sur sa contribution totale au prochain budget de l’Union européenne (2021-2027) monte à 565 millions d’euros, soit une hausse de 138 %. Suivent le Danemark avec 377 millions (+ 91 %), la Suède à 1,07 milliard (+34 %) et les Pays-Bas avec 1,92 milliard (+22 %). La France va payer en partie la facture alors que le rabais de 3,67 milliards accordé à l’Allemagne n’a pas évolué avec la négociation.
5 – Des ressources propres à développer pour rembourser l’emprunt
C’est le prochain défi de l’Europe, et il promet de nouvelles discussions enflammées : l’UE doit à présent développer des ressources propres , dont les revenus seront notamment destinés à rembourser l’emprunt communautaire devant financer le plan de relance. Le principe a été acté lors du sommet, mais les 27 se sont gardés de trop s’avancer sur ce sujet, qui peut vite les diviser et se heurter à la règle de l’unanimité, en témoigne le débat toujours inachevé sur la taxe Gafa européenne.
A ce stade, ils ont juste acté le lancement dès 2021 d’une taxe sur les plastiques à usage unique, en lien avec le « pacte vert ». Les débats sur la taxe Gafa, sur une taxe carbone aux frontières (pour préserver la compétitivité des industries européennes appelées à diminuer leurs émissions) et sur une réforme des actuels « marchés à polluer » (Emission Trading System, ETS) attendront 2021, quand la Commission européenne détaillera ses propositions.
Cette dernière estime que l’UE pourrait accroître ses revenus de plus de 30 milliards d’euros par an via de tels dispositifs visant aussi à « soutenir sa souveraineté. » L’objectif affiché est d’avoir implanté la taxe Gafa et la taxe carbone « d’ici 2023 » au plus tard. Une relance de la Taxe sur les transactions financières (TTF), serpent de mer européen, est aussi en débat. La Commission européenne et les pays appelant à de fortes ressources propres, comme la France, espèrent que la perspective d’alléger la note de l’emprunt pour les Etats convaincra les réticents à se lancer sur ce sujet qui provoque aussi des divisions avec les pays du Nord, culturellement rétifs à l’idée de tels « impôts européens ».
6 – 40 milliards de subventions pour la France
Le ministre français des Finances Bruno Le Maire a été clair mardi matin sur Franceinfo : « La relance, c’est maintenant, il n’y a pas un instant à perdre, donc. Nous disposons dès maintenant de 40 milliards d’euros supplémentaires que nous allons pouvoir ajouter à l’argent du budget français […] à l’intérieur des 100 milliards » prévus pour le plan de relance nationa l sur deux ans, qui sera présenté au conseil des ministres du 24 août.
Ces 40 milliards sont dégagés sur les 390 milliards de subventions décidées par le Conseil européen pour venir en aide aux pays membres de l’UE les plus frappés par la crise, avec pour objectif des réformes économiques et l’investissement. Ils financeront ainsi les « grandes priorités » du plan français, a indiqué Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, et à 30% en investissements « verts ».
Des chantiers multiples, qui vont du développement des nouvelles technologies (plan hydrogène, filière recyclage), à la rénovation thermique (écoles et Ehpad en premier lieu), en passant le soutien aux entreprises par la baisse des impôts de production, un vaste plan pour l’emploi des jeunes (exonération des charges), ou encore la réhabilitation des petites lignes de chemins de fer et le développement du fret ferroviaire.